Christian Charpy, "La tête de l'emploi"
Publisher: Tallandier | 2011 | ISBN: N/A | French | EPUB/MOBI/PDF | 176 pages | 0.2/0.3/0.6 Mb
Publisher: Tallandier | 2011 | ISBN: N/A | French | EPUB/MOBI/PDF | 176 pages | 0.2/0.3/0.6 Mb
Comment trouver sa place dans un monde en crise quand on n’est ni très jeune, ni très beau et qu’on ne désire que le bonheur ? Le dernier livre de David Foenkinos, La Tête de l’emploi*, est un roman d’aujourd’hui. Il analyse par petites touches la lente dégringolade d’un homme, la cinquantaine, qui se retrouve au chômage. Un Bernard quelconque, prénom qui pourrait imposer une sorte de familiarité tacite mais qui, en fait, « contient la possibilité d’un précipice ».
Après l’élection de Mitterrand, les banques ont besoin de rassurer leurs clients. Bernard, stagiaire à la BNP, a la tête de l’emploi. Le voilà propulsé conseiller financier. Une vie sans histoires, comme celle qu’il partage depuis vingt ans avec Nathalie. Mais avec la crise des subprimes, ce rassurant Bernard, comme ses collègues, tend à passer pour un bandit de grand chemin, un Madoff à la petite semaine. Encore un Bernard… Les banques doivent gérer le marché engourdi et compresser le personnel. Partenaire privilégié des nantis, le voilà relégué derrière le guichet. Une humiliation inavouable même si elle suffirait à expliquer qu’il en a oublié l’anniversaire de sa femme. Et le voilà avec « la tête d’un homme enfermé à tout jamais dans le mois de février ». Nathalie se lasse, Bernard craque. Viré de la banque, indésirable chez lui, ne lui reste plus qu’une solution, retourner vivre chez ses parents.
Ils seraient près de 700 000 en France ces Tanguy burinés à avoir été obligés en 2013, comme Bernard, de retrouver leur chambre d’adolescent selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre. Un phénomène en nette accentuation depuis cinq ans. Aux Etats-Unis où l’autonomie des jeunes est un des fondements de la réussite, 22 % des 25-34 ans cohabitent avec leurs parents, deux fois plus qu’en 1980. Il faut remonter à la crise des années 30 pour trouver des proportions supérieures. En Grèce, c’est le cas de la moitié de cette génération boomerang, suivie de près par l’Espagne et l’Italie.
Cela fait quoi, à cinquante ans, d’avoir pour seul rendez-vous Questions pour un champion avec des parents dérangés dans leurs habitudes par le retour d’une progéniture vieillissante ? Rien de bon malgré le chocolat chaud du matin. Un Bernard exclu, honteux qui se renferme. Comment dire sa déchéance à Alice, sa fille de vingt ans qui démarre sa vie professionnelle et amoureuse ? Comment trouver de l’aide auprès des amis d’hier – des Jean-Marc et des Jean-Michel – ne pensant qu’à sauver leurs plumes dans ce contexte tendu ? Et comment retrouver une place dans un monde en crise quand on n’en a plus la force ? Finies les certitudes et l’assurance d’une existence tranquille. David Foenkinos, malgré son succès, s’intéresse aux souffrances des hommes ordinaires. Par délicatesse envers tous ces Bernard, il a sorti La Tête de l’emploi directement en édition de poche, moins coûteuse que la collection blanche de Gallimard à laquelle il est habitué.
Florence Raillard
Un jour, mes parents ont eu l'étrange idée de faire un enfant : moi.
Je ne suis pas certain de saisir leurs motivations. Il est d'ailleurs possible qu'ils ne les connaissent pas eux-mêmes. Peut-être ont-ils fait un enfant un peu pour faire comme tout le monde. Je ressens encore en moi les vibrations de mes premières années, où j'étais assis au milieu du salon comme une improbable boule humaine. Mes parents me touchaient du bout des doigts, et m'embrassaient du bout des lèvres. Il y avait comme une distance de sécurité entre nous, on aurait dit qu'ils avaient peur de m'aimer. Peur d'attraper une sorte de maladie dont on ne pourrait pas se défaire. Qui sait ? Ils pourraient être contaminés par la douceur, et propulsés dans l'envie de faire un autre enfant.
J'en rajoute sûrement un peu. C'est toujours le cas, non ? Je n'ai jamais rencontré quiconque qui soit capable de parler de ses parents de manière posée, honnête et juste. Ce que j'analyse comme de la distance est sûrement leur façon de m'aimer. Car ils m'aiment. Je ne possède pas le dictionnaire qui me permettrait de comprendre leur affection, mais je sens bien que cette affection existe. Ce n'est pas forcément concret. On se téléphone de temps à autre, on ne se dit pratiquement rien. On survole les sujets de manière indolore, et c'est justement dans ces conversations vides que je puise une forme de tendresse. On n'a pas toujours besoin de mots. Nous nous aimons comme des mollusques doivent s'aimer. Et je crois que cela me convient plutôt bien. J'ai probablement renoncé à l'ambition d'être aimé par mes parents comme je le souhaiterais. De toute façon, et quoi que nous fassions, nous ne serons jamais rassasiés en amour.
D'emblée, notre histoire a mal commencé : ils ont décidé de m'appeler Bernard. Enfin, c'est un prénom sympathique. Au cours de ma vie, j'ai croisé quelques spécimens bernardiens, et j'en conserve plutôt un bon souvenir. Avec un Bernard, on peut passer une bonne soirée. Le Bernard impose une sorte de familiarité tacite, pour ne pas dire immédiate. On n'a pas peur de taper dans le dos d'un Bernard. Je pourrais me réjouir de porter un prénom qui est une véritable propagande pour se faire des amis. Mais non. Avec le temps, j'ai saisi la dimension sournoise de mon prénom ; il contient la possibilité du précipice. Comment dire ? En somme, je ne trouve pas que ce soit un prénom gagnant. Dans cette identité qui est la mienne, j'ai toujours ressenti le compte à rebours de l'échec. Certains prénoms sont comme la bande-annonce du destin de ceux qui les portent. À la limite, Bernard pouvait être un film comique. En tout cas, avec un tel prénom, je n'allais pas révolutionner l'humanité.
Je ne suis pas certain de saisir leurs motivations. Il est d'ailleurs possible qu'ils ne les connaissent pas eux-mêmes. Peut-être ont-ils fait un enfant un peu pour faire comme tout le monde. Je ressens encore en moi les vibrations de mes premières années, où j'étais assis au milieu du salon comme une improbable boule humaine. Mes parents me touchaient du bout des doigts, et m'embrassaient du bout des lèvres. Il y avait comme une distance de sécurité entre nous, on aurait dit qu'ils avaient peur de m'aimer. Peur d'attraper une sorte de maladie dont on ne pourrait pas se défaire. Qui sait ? Ils pourraient être contaminés par la douceur, et propulsés dans l'envie de faire un autre enfant.
J'en rajoute sûrement un peu. C'est toujours le cas, non ? Je n'ai jamais rencontré quiconque qui soit capable de parler de ses parents de manière posée, honnête et juste. Ce que j'analyse comme de la distance est sûrement leur façon de m'aimer. Car ils m'aiment. Je ne possède pas le dictionnaire qui me permettrait de comprendre leur affection, mais je sens bien que cette affection existe. Ce n'est pas forcément concret. On se téléphone de temps à autre, on ne se dit pratiquement rien. On survole les sujets de manière indolore, et c'est justement dans ces conversations vides que je puise une forme de tendresse. On n'a pas toujours besoin de mots. Nous nous aimons comme des mollusques doivent s'aimer. Et je crois que cela me convient plutôt bien. J'ai probablement renoncé à l'ambition d'être aimé par mes parents comme je le souhaiterais. De toute façon, et quoi que nous fassions, nous ne serons jamais rassasiés en amour.
D'emblée, notre histoire a mal commencé : ils ont décidé de m'appeler Bernard. Enfin, c'est un prénom sympathique. Au cours de ma vie, j'ai croisé quelques spécimens bernardiens, et j'en conserve plutôt un bon souvenir. Avec un Bernard, on peut passer une bonne soirée. Le Bernard impose une sorte de familiarité tacite, pour ne pas dire immédiate. On n'a pas peur de taper dans le dos d'un Bernard. Je pourrais me réjouir de porter un prénom qui est une véritable propagande pour se faire des amis. Mais non. Avec le temps, j'ai saisi la dimension sournoise de mon prénom ; il contient la possibilité du précipice. Comment dire ? En somme, je ne trouve pas que ce soit un prénom gagnant. Dans cette identité qui est la mienne, j'ai toujours ressenti le compte à rebours de l'échec. Certains prénoms sont comme la bande-annonce du destin de ceux qui les portent. À la limite, Bernard pouvait être un film comique. En tout cas, avec un tel prénom, je n'allais pas révolutionner l'humanité.
Ados, quinquas, seniors, femmes, hommes seront séduits par cette histoire "sociétale" dont la simplicité apparente retranscrit finement les désarrois de l'époque…
(…)Foenkinos, qui, même (et surtout) dans les situations désespérées, ne perd jamais de sa fraîcheur ni de son humour. Car elle est bien là, la petite musique - osons l'expression "saganesque" - de l'auteur d'En cas de bonheur et de La Délicatesse, qui s'empare de l'air du temps, zoome sur les conflits professionnels et familiaux les plus banals sans céder à la facilité ni à la mièvrerie. (Marianne Payot - L'Express, février 2014)
(…)Foenkinos, qui, même (et surtout) dans les situations désespérées, ne perd jamais de sa fraîcheur ni de son humour. Car elle est bien là, la petite musique - osons l'expression "saganesque" - de l'auteur d'En cas de bonheur et de La Délicatesse, qui s'empare de l'air du temps, zoome sur les conflits professionnels et familiaux les plus banals sans céder à la facilité ni à la mièvrerie. (Marianne Payot - L'Express, février 2014)