Sandrine Collette, "Des noeuds d'acier"
Publisher: Denoël | 2013 | ISBN: 2207113906 | French | EPUB | 272 pages | 0.2 Mb
Publisher: Denoël | 2013 | ISBN: 2207113906 | French | EPUB | 272 pages | 0.2 Mb
La prison n'avait pas réussi à le briser.
Ces deux vieillards retirés du monde vont-ils y parvenir ?
Avril 2001. Dans la cave d'une ferme miteuse, au creux d'une vallée isolée couverte d'une forêt noire et dense, un homme est enchaîné. Il s'appelle Théo, il a quarante ans, il a été capturé par deux vieillards qui veulent faire de lui leur esclave.
Comment Théo a-t-il basculé dans cet univers au bord de la démence ? Il n'a pourtant rien d'une proie facile : athlétique et brutal, il sortait de prison quand ces deux vieux fous l'ont piégé au fond des bois. Les ennuis, il en a vu d'autres. Alors, allongé contre les pierres suintantes de la cave, battu, privé d'eau et de nourriture, il refuse de croire à ce cauchemar. Il a résisté à la prison, il se jure d'échapper à ses geôliers.
Mais qui pourrait sortir de ce huis clos sauvage d'où toute humanité a disparu ?
Sandrine Collette est née en 1970. Elle partage sa vie entre l'université de Nanterre et son élevage de chevaux dans le Morvan. Des noeuds d'acier est son premier roman.
Il en a fallu du temps pour que ce petit coin de pays se défasse du souvenir de l'effroyable fait divers qui l'a marqué au cours de l'été 2002. Dans les quotidiens et les hebdos nationaux, au journal télévisé, bien évidemment dans la presse à sensation : il est passé partout. À nous, habitants acharnés ou passionnés de cette terre dépeuplée, il a fait une publicité mauvaise et morbide ; beaucoup de gens aujourd'hui encore ne connaissent notre région que par cette triste chronique.
La France profonde. La misère sociale. Une population locale issue de générations entières de consanguins ou d'alcooliques, les deux le plus souvent, dans un environnement semi-montagneux où la dispersion et la rareté de l'habitat ont trop longtemps restreint les échanges et la communication. Voilà ce qu'on en a dit dans les médias. Voilà ce que la nation en a retenu. Merci aux journaleux.
Cela étant, cette affaire qui nous a agités toute une saison a aussi constitué un formidable argument touristique. Car il n'y a rien ici, misérablement rien, que de la campagne et des vallons, de la roche et des chemins de randonnée. Alors bien sûr quelques hôteliers avisés ont saisi l'occasion de créer le «circuit de la terreur», une boucle de quatorze kilomètres inaccessible aux autos et aux deux-roues, privilège des marcheurs, des chevaux et des ânes. Il va sans dire qu'en prenant la route du haut et moyennant un bon détour, on pouvait y aller en voiture. Mais c'aurait été passer à côté de la peur. Et c'est bien pour cela que l'on venait des quatre coins de la France et même, ici et là, de Belgique, des Pays-Bas ou d'Allemagne : pour sentir l'horreur qui suintait de cette épouvantable histoire. Non, ce qu'il fallait absolument, c'était prendre le forfait journée, celui avec le guide et le conteur. Frissons garantis, et les détails valaient le prix à aligner - quarante euros sans le pique-nique.
Détails par ailleurs purement inventés, fantasmes.
Personne ne savait ce qui s'était vraiment passé.
Ça a marché un an, un an et demi. Après, l'intérêt est retombé.
Je pense souvent à cette histoire le soir quand le dernier patient a quitté mon bureau et que je regarde le parc désert depuis la fenêtre entrouverte. «L'affaire Théo Béranger», comme l'ont appelée les médias, j'en ai été témoin et j'aurais payé cher à l'époque pour être ailleurs. Mais elle m'a prise de plein fouet, elle m'a jeté sa brutalité au visage. Parfois j'ai encore du mal à croire qu'il y a des hommes assez fous pour en arriver là ; et pourtant j'en ai vu défiler, des détraqués, en vingt ans d'exercice. Tous m'ont prouvé, les uns après les autres, que les histoires vraies dépassent l'imagination dans ce que l'homme peut avoir de déséquilibré et de dangereux.
Car ceci est une histoire vraie.
La première fois que j'ai rencontré Théo Béranger, j'avais lu son dossier bien sûr, histoire de voir à quoi je m'attelais. Ce type était un beau salaud. Un violent, au bord du gouffre en permanence, comme un joueur addictif : incapable de s'arrêter. Le genre d'homme dont on sait que s'il tourne le dos à la violence, c'est elle qui viendra à lui.
La France profonde. La misère sociale. Une population locale issue de générations entières de consanguins ou d'alcooliques, les deux le plus souvent, dans un environnement semi-montagneux où la dispersion et la rareté de l'habitat ont trop longtemps restreint les échanges et la communication. Voilà ce qu'on en a dit dans les médias. Voilà ce que la nation en a retenu. Merci aux journaleux.
Cela étant, cette affaire qui nous a agités toute une saison a aussi constitué un formidable argument touristique. Car il n'y a rien ici, misérablement rien, que de la campagne et des vallons, de la roche et des chemins de randonnée. Alors bien sûr quelques hôteliers avisés ont saisi l'occasion de créer le «circuit de la terreur», une boucle de quatorze kilomètres inaccessible aux autos et aux deux-roues, privilège des marcheurs, des chevaux et des ânes. Il va sans dire qu'en prenant la route du haut et moyennant un bon détour, on pouvait y aller en voiture. Mais c'aurait été passer à côté de la peur. Et c'est bien pour cela que l'on venait des quatre coins de la France et même, ici et là, de Belgique, des Pays-Bas ou d'Allemagne : pour sentir l'horreur qui suintait de cette épouvantable histoire. Non, ce qu'il fallait absolument, c'était prendre le forfait journée, celui avec le guide et le conteur. Frissons garantis, et les détails valaient le prix à aligner - quarante euros sans le pique-nique.
Détails par ailleurs purement inventés, fantasmes.
Personne ne savait ce qui s'était vraiment passé.
Ça a marché un an, un an et demi. Après, l'intérêt est retombé.
Je pense souvent à cette histoire le soir quand le dernier patient a quitté mon bureau et que je regarde le parc désert depuis la fenêtre entrouverte. «L'affaire Théo Béranger», comme l'ont appelée les médias, j'en ai été témoin et j'aurais payé cher à l'époque pour être ailleurs. Mais elle m'a prise de plein fouet, elle m'a jeté sa brutalité au visage. Parfois j'ai encore du mal à croire qu'il y a des hommes assez fous pour en arriver là ; et pourtant j'en ai vu défiler, des détraqués, en vingt ans d'exercice. Tous m'ont prouvé, les uns après les autres, que les histoires vraies dépassent l'imagination dans ce que l'homme peut avoir de déséquilibré et de dangereux.
Car ceci est une histoire vraie.
La première fois que j'ai rencontré Théo Béranger, j'avais lu son dossier bien sûr, histoire de voir à quoi je m'attelais. Ce type était un beau salaud. Un violent, au bord du gouffre en permanence, comme un joueur addictif : incapable de s'arrêter. Le genre d'homme dont on sait que s'il tourne le dos à la violence, c'est elle qui viendra à lui.
Un homme violent, massacreur de son propre frère, est réduit en esclavage par deux frères dans une maison isolée. Sandrine Collette fait une irruption remarquée dans le monde du roman policier français…
Le roman noir est en général urbain, et rares sont les auteurs qui nous plongent au coeur d'une nature sauvage, comme oubliée de tous et de la civilisation. Sandrine Collette a su, avec une sensibilité rare, par touches, brosser l'escalade de la terreur, l'imagination sans cesse renouvelée des humiliations, la haine, l'envie, accumulées depuis des décennies au coeur des tourmenteurs et la lente descente aux enfers d'un personnage qui, ne croyant plus à rien au début de l'histoire, finira par ressembler à celui qui le hante, le frère haï et infirme. (Roger Martin - L'Humanité du 14 juin 2013)
Le roman noir est en général urbain, et rares sont les auteurs qui nous plongent au coeur d'une nature sauvage, comme oubliée de tous et de la civilisation. Sandrine Collette a su, avec une sensibilité rare, par touches, brosser l'escalade de la terreur, l'imagination sans cesse renouvelée des humiliations, la haine, l'envie, accumulées depuis des décennies au coeur des tourmenteurs et la lente descente aux enfers d'un personnage qui, ne croyant plus à rien au début de l'histoire, finira par ressembler à celui qui le hante, le frère haï et infirme. (Roger Martin - L'Humanité du 14 juin 2013)