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Mohammed Aïssaoui, "L'étoile jaune et le croissant"

Posted By: TimMa
Mohammed Aïssaoui, "L'étoile jaune et le croissant"

Mohammed Aïssaoui, "L'étoile jaune et le croissant"
2014 | ISBN: 2070138917 | Français | EPUB | 208 pages | 2.2 MB

«Sur les 23 000 "Justes parmi les nations", il n'y a pas un seul Arabe et pas un musulman de France ou du Maghreb. C'est étonnant quand on connaît les liens séculaires qui ont uni les communautés juive et musulmane. Alors, j'ai décidé de chercher. Pendant deux ans et demi, j'ai défriché des documents, suivi toutes les pistes possibles, tenté de recueillir des témoignages. On m'a souvent répété : "Mais les témoins sont morts aujourd'hui." J'ai exhumé des archives, écouté des souvenirs, même imprécis, et retrouvé de vraies histoires : comme celle de cette infirmière juive ou celle du père de Philippe Bouvard qui ont échappé à la déportation grâce au fondateur de la Grande Mosquée de Paris, Kaddour Benghabrit. Cet homme a sauvé d'autres vies. Des anonymes ont également joué un rôle en fournissant aux Juifs de faux certificats attestant qu'ils étaient de confession musulmane. La mère de Serge Klarsfeld en a bénéficié : "J'ai eu une mère algérienne et musulmane pendant quelques mois. Elle s'est appelée Mme Kader", m'a-t-il raconté. Et l'action du roi Mohammed V au Maroc durant l'Occupation ne lui vaudrait-elle pas le titre de Juste ? "Celui qui écoute le témoin devient témoin à son tour." J'avais toujours à l'esprit cette phrase d'Elie Wiesel. Je l'ai écrite plusieurs fois, et suis parti en quête de témoins pour ne pas rompre le fil ténu de la mémoire.» Mohammed Aïssaoui.
Je dis souvent aux survivants : écrivez. Je leur répète : écrivez, écrivez. Ou faites écrire votre histoire. Je n'ose ajouter : un jour vous ne serez plus là, et qui alors recueillera vos paroles ? Elles s'envoleront ou seront balayées comme la poussière. A leurs enfants, j'explique qu'il faut tout conserver : lettres, photos, pièces d'identité, journaux intimes… Tout. On ne sait jamais, cela peut constituer des preuves, un jour. Des preuves, oui, il en faut, parfois. On ne sait jamais. Les choses disparaissent si vite, et on le regrette après. On le regrette toujours. Je l'ai observé tant de fois, tenez, hier encore, quand une amie a perdu sa grand-mère : elle s'est rendu compte qu'au fond elle ne savait rien d'elle…
Moi qui n'ai survécu à rien - si ce n'est à quelques petites humiliations -, je ne comprends pas mon obsession à retrouver des traces qui ne me concernent pas, ou si peu ou de si loin. Je ne comprends pas, mais j'insiste, j'insiste… J'y passe beaucoup de temps. J'ai un penchant : j'exhume des noms oubliés comme d'autres chassent des trésors ou cajolent des voitures. Je recherche des existences sur lesquelles on a posé un voile de silence. Je fouille dans les souterrains de l'histoire. Je poursuis des ombres. Je remarque les silhouettes. Je suis le biographe des fantômes. Oui, je passe beaucoup de temps avec des fantômes. Des noms depuis longtemps disparus me deviennent familiers. Je dis d'eux : je les connais, comme des amis perdus de vue. Parfois, il m'arrive même de faire découvrir aux familles des épisodes de leur histoire qui leur étaient inconnus. Je tente de retrouver des noms effacés comme on désire adopter un enfant.
Celui que je recherche en ce moment a disparu depuis plus d'un demi-siècle. Il est mort le 24 juin 1954. Il s'appelle Kaddour Benghabrit. Son nom est parfois orthographié Ben Ghabrit, Ben-Ghabrit, ou ben Ghabrit; sur l'état civil, son prénom est Abdelkader. C'est fou comme autrefois on a pu être si négligent avec l'orthographe des patronymes. Son nom ne vous dit probablement rien : Benghabrit a fondé la Grande Mosquée de Paris en 1926 - sa création avait été décidée à la fin de la Grande Guerre en hommage aux soixante-dix mille soldats musulmans morts pour la France.
Pourquoi lui ? Pourquoi Benghabrit m'intéresse-t-il plus particulièrement et occupe-t-il tant mon esprit ? Je ne saurais trop l'expliquer - parfois, les interrogations n'appellent pas de réponses. J'en avais entendu parler pour la première fois au début des années 90, lors de la diffusion d'un documentaire à la télévision. Ce représentant des musulmans avait, disait-on, sauvé des Juifs de la déportation durant l'Occupation. Ça m'avait intrigué. Puis, le temps a passé. Trop vite. Mais cette histoire était restée ancrée dans un coin de ma tête. À tel point qu'une quinzaine d'années plus tard j'avais proposé à un ami écrivain de se pencher sur ce destin qui me semblait digne d'être conté, mais mon ami avait d'autres projets.

Pas un seul Arabe ne figure parmi les 23.000 «Justes parmi les nations» reconnus par Yad Vashem, l'institut israélien qui se consacre à la mémoire et à l'enseignement de la Shoah. Pas un seul musulman de France ou du Maghreb non plus. Comment cela est-il possible ? C'est en partant de ce constat qui le désole que Mohammed Aïssaoui a entamé une enquête délicate…
«Je suis le biographe des fantômes», écrit Mohammed Aïssaoui et c'est ce qu'on éprouve en l'accompagnant dans cette quête poignante où il parle à la première personne. Un labyrinthe de la mémoire où il tient un fil ténu. L'époque est trouble, les âmes souvent grises. En histoire comme dans la vie, ce que l'on trouve n'est jamais ce que l'on attend : il y a des parts d'ombre cachées, mais aussi de lumière révélées. Dans cette plongée dans l'ambiguïté, parfois le double jeu, on ne peut s'empêcher de songer à l'univers de Modiano. Au détour d'une page, on apprend d'ailleurs que l'on a pu croiser de loin une des figures qui ont inspiré son univers romanesque. (Jean-Marc Bastière - Le Figaro du 4 octobre 2012)

Le livre de Mohammed Aïssaoui, journaliste au Figaro littéraire, tombe en plein marasme nauséabond autour des relations entre juifs et musulmans. Et il tombe bien, pour redonner, enfin, de l'humanité à cette histoire. Quête personnelle et investigation journalistique, Aïssaoui est parti d'une intuition, ou d'un espoir : des Arabes, des musulmans ont certainement sauvé des juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s'est lancé à la recherche de ces «Justes» et il a réussi à exhumer ces moments où, «au moins une fois, des Arabes et des juifs ont marché main dans la main… des Arabes et des musulmans ont protégé des juifs»…
A la fin du livre, il avance les noms de ceux qui mériteraient certainement d'être gravés sur le mur des Justes : Mohammed V, grand-père de l'actuel roi du Maroc, Si Kaddour Benghabrit, Moncef Bey, Ahmed Somia et d'autres, à qui il rend hommage. (Annette Levy Willard - Libération du 25 octobre 2012)

Pour éviter le piège du sentimentalisme méditerranéen, Aïssaoui a choisi d'écrire en journaliste. Les témoins directs ayant disparu, il cherche des noms, des lieux, des archives. Son récit est d'abord un voyage mélancolique, entre la France, le Maghreb et Israël, sur les traces d'un passé enfoui, qui rappelle parfois les errances mémorielles d'un Modiano (d'ailleurs remercié en fin d'ouvrage)…
Il reconstitue l'histoire de Salim Halali, musicien juif qui a vécu à l'abri des rafles dans la Mosquée, ou d'Oro Boganim, que Benghabrit a aidée à fuir vers le Maroc. Bien d'autres cas sont à mentionner. L'inscription d'un Arabe parmi les Justes ne rendra pas le monde meilleur, simplement un peu plus complexe. C'est bien, la complexité : ça fait taire les cons. (Le Nouvel Observateur du 11 octobre 2012)

De cet homme, l'auteur savait qu'il avait «sauvé des vies» de Juifs pourchassés sous l'Occupation. Sans plus. A peine quelques noms, des traces incertaines, des pistes vacillantes. Or, pour accéder ou faire accéder une personne au statut de «Juste parmi les nations», titre décerné au nom de l'Etat d'Israël par le mémorial de Yad Vashem pour exprimer sa gratitude aux non-Juifs qui ont sauvé des Juifs pendant la guerre, il faut monter un dossier constitué de preuves, de documents, de témoignages, d'archives. C'est précisément le récit de son enquête que nous propose Mohamed Aïssaoui, biographe de fantômes, avec ses espoirs, ses déceptions, ses frustrations, ses fins de non-recevoir, ses refus, ses appels sans retour, ses incompréhensions, ses légendes, ses rumeurs, ses fausses pistes sur la Toile et ses traces fécondes à travers les réseaux sociaux…
Il nous fait découvrir ce qu'il découvre au fur et à mesure quand tant d'autres se seraient précipités vers la synthèse. (Pierre Assouline - Le Monde du 15 novembre 2012)