Anjelica Huston, "Suivez mon regard"
Publisher: l'Olivier | 2015 | ISBN: 2879298318 | French | EPUB | 598 pages | 4.7 Mb
Publisher: l'Olivier | 2015 | ISBN: 2879298318 | French | EPUB | 598 pages | 4.7 Mb
Après une enfance magique en Irlande, Anjelica est mannequin pour Vogue. Elle fréquente les hauts lieux de la mode, de Milan à Paris. Hollywood, elle connaît déjà : petite fille, elle accompagnait son père, le légendaire John Huston, sur les plateaux. Un soir à Beverly Hills, elle rencontre Jack Nicholson. Ils deviennent amants. Le cinéma n'attendait qu'elle…
Je suis née à 18 h 29, le 8 juillet 1951, au Cedars of Lebanon Hospital à Los Angeles. Un beau et gros bébé de quatre kilos. La nouvelle a aussitôt été télégraphiée à la poste de Butiaba dans l'ouest de l'Ouganda. Deux jours plus tard, un coureur aux pieds nus arrivait avec le télégramme à Murchison Falls : c'était autour de cette chute d'eau sur le Nil, au coeur du Congo belge, que se tournait L'Odyssée de l'«African Queen».
Mon père, John Marcellus Huston, était un metteur en scène connu pour son tempérament audacieux et son goût de l'aventure. Le projet avait beau passer pour téméraire, il avait réussi à embarquer dans cette périlleuse entreprise non seulement Katharine Hepburn, une actrice dans la fleur de l'âge, mais aussi Humphrey Bogart, qui lui-même avait fait venir sa femme, la star Lauren Bacall. Ma mère, enceinte de plusieurs mois, avait dû rester à Los Angeles avec mon frère Tony, âgé d'un an à ce moment-là.
Quand le messager a tendu le télégramme à mon père, celui-ci y a jeté un rapide coup d'oeil, puis l'a rangé dans sa poche. Katie Hepburn s'est exclamée : «Pour l'amour du ciel, John, enfin, qu'est-ce que ça dit ?» et Papa a répondu : «C'est une fille. Elle s'appelle Anjelica.»
Un mètre quatre-vingt-dix et de longues jambes, mon père était plus grand, plus fort et doté d'une plus belle voix que tout autre. Il avait les cheveux poivre et sel, le nez cassé des boxeurs et une dégaine spectaculaire. Je ne crois pas l'avoir jamais vu courir ; il marchait d'un pas chaloupé, ou à grandes enjambées rapides. Il se déplaçait avec souplesse et décontraction, comme un Américain, mais s'habillait comme un gentleman anglais : pantalons en velours côtelé, chemises impeccables, cravates en soie, vestes munies de pièces en daim aux coudes, casquettes en tweed, chaussures en cuir sur mesure, et pyjamas de chez Sulka avec ses initiales brodées sur la poche de poitrine. Il sentait le tabac et l'eau de Cologne au citron vert de chez Guerlain. Il tenait toujours entre ses doigts une cigarette, comme un prolongement de son corps. Son allure était aussi naturelle que savamment étudiée. Ses goûts étaient éclectiques. En tournage, il portait des sahariennes et des pantalons de toile, comme s'il allait à la guerre.
Au fil des années, mon père a été décrit comme un don juan, un buveur, un joueur, un homme toujours entouré de copains virils qui préférait partir à la chasse au gros gibier plutôt que de rester derrière la caméra. Il faut reconnaître qu'il était extravagant et avait des idées bien arrêtées. Mais Papa était un être complexe, en grande partie autodidacte, curieux de tout et cultivé. Les femmes n'étaient pas les seules à tomber sous son charme, les hommes aussi l'aimaient, et de tous âges, avec cette étrange loyauté et cette tolérance qu'ils peuvent manifester entre eux. Ils étaient séduits par sa sagesse, son humour, sa générosité de coeur. Ils le voyaient comme un lion, comme un chef, le pirate qu'ils auraient voulu être s'ils en avaient eu le cran. Même si rares étaient ceux qui forçaient son attention, Papa aimait admirer ses congénères, et il tenait en haute estime les artistes, les athlètes, les gens titrés, les gens très riches et les gens très talentueux. Mais surtout il aimait les personnages hors du commun, les individus qui le faisaient rire et le poussaient à s'émerveiller de la vie.
Mon père, John Marcellus Huston, était un metteur en scène connu pour son tempérament audacieux et son goût de l'aventure. Le projet avait beau passer pour téméraire, il avait réussi à embarquer dans cette périlleuse entreprise non seulement Katharine Hepburn, une actrice dans la fleur de l'âge, mais aussi Humphrey Bogart, qui lui-même avait fait venir sa femme, la star Lauren Bacall. Ma mère, enceinte de plusieurs mois, avait dû rester à Los Angeles avec mon frère Tony, âgé d'un an à ce moment-là.
Quand le messager a tendu le télégramme à mon père, celui-ci y a jeté un rapide coup d'oeil, puis l'a rangé dans sa poche. Katie Hepburn s'est exclamée : «Pour l'amour du ciel, John, enfin, qu'est-ce que ça dit ?» et Papa a répondu : «C'est une fille. Elle s'appelle Anjelica.»
Un mètre quatre-vingt-dix et de longues jambes, mon père était plus grand, plus fort et doté d'une plus belle voix que tout autre. Il avait les cheveux poivre et sel, le nez cassé des boxeurs et une dégaine spectaculaire. Je ne crois pas l'avoir jamais vu courir ; il marchait d'un pas chaloupé, ou à grandes enjambées rapides. Il se déplaçait avec souplesse et décontraction, comme un Américain, mais s'habillait comme un gentleman anglais : pantalons en velours côtelé, chemises impeccables, cravates en soie, vestes munies de pièces en daim aux coudes, casquettes en tweed, chaussures en cuir sur mesure, et pyjamas de chez Sulka avec ses initiales brodées sur la poche de poitrine. Il sentait le tabac et l'eau de Cologne au citron vert de chez Guerlain. Il tenait toujours entre ses doigts une cigarette, comme un prolongement de son corps. Son allure était aussi naturelle que savamment étudiée. Ses goûts étaient éclectiques. En tournage, il portait des sahariennes et des pantalons de toile, comme s'il allait à la guerre.
Au fil des années, mon père a été décrit comme un don juan, un buveur, un joueur, un homme toujours entouré de copains virils qui préférait partir à la chasse au gros gibier plutôt que de rester derrière la caméra. Il faut reconnaître qu'il était extravagant et avait des idées bien arrêtées. Mais Papa était un être complexe, en grande partie autodidacte, curieux de tout et cultivé. Les femmes n'étaient pas les seules à tomber sous son charme, les hommes aussi l'aimaient, et de tous âges, avec cette étrange loyauté et cette tolérance qu'ils peuvent manifester entre eux. Ils étaient séduits par sa sagesse, son humour, sa générosité de coeur. Ils le voyaient comme un lion, comme un chef, le pirate qu'ils auraient voulu être s'ils en avaient eu le cran. Même si rares étaient ceux qui forçaient son attention, Papa aimait admirer ses congénères, et il tenait en haute estime les artistes, les athlètes, les gens titrés, les gens très riches et les gens très talentueux. Mais surtout il aimait les personnages hors du commun, les individus qui le faisaient rire et le poussaient à s'émerveiller de la vie.
De son père John Huston à sa liaison avec Jack Nicholson, de son métier de mannequin dans le Swinging London au Hollywood des années 70, Anjelica Huston dit tout dans des mémoires doux-amers…
Ce qu'il y a assez vite de jubilatoire à lire Suivez mon regard, c'est qu'il nous plonge dans le Swinging London et le New York et le Hollywood des années 1970, parmi une foule de gens tous plus extravagants et anticonformistes les uns que les autres…
Il y a un endroit et un envers dans la vie d'Anjelica Huston, de quoi nous agacer et de quoi nous émouvoir : un côté face où tout arrive avec une facilité exaspérante pour cette enfant du sérail, mais un côté pile plus sombre, torturé, comme s'il y avait toujours un prix à payer. Sa mère, plus ou moins dépressive depuis que son mari a fini par la quitter, se tue dans un accident de voiture à la fin des années 60, alors qu'Anjelica n'a que 18 ans…
Reste une vie hors norme, parce qu'elle est née du bon côté au bon moment - quand Hollywood était encore une fête. (Nelly Kaprièlian - Les Inrocks, mai 2015)
Ce qu'il y a assez vite de jubilatoire à lire Suivez mon regard, c'est qu'il nous plonge dans le Swinging London et le New York et le Hollywood des années 1970, parmi une foule de gens tous plus extravagants et anticonformistes les uns que les autres…
Il y a un endroit et un envers dans la vie d'Anjelica Huston, de quoi nous agacer et de quoi nous émouvoir : un côté face où tout arrive avec une facilité exaspérante pour cette enfant du sérail, mais un côté pile plus sombre, torturé, comme s'il y avait toujours un prix à payer. Sa mère, plus ou moins dépressive depuis que son mari a fini par la quitter, se tue dans un accident de voiture à la fin des années 60, alors qu'Anjelica n'a que 18 ans…
Reste une vie hors norme, parce qu'elle est née du bon côté au bon moment - quand Hollywood était encore une fête. (Nelly Kaprièlian - Les Inrocks, mai 2015)