Michel Pastoureau, "Traité d'héraldique"

Posted By: TimMa

Michel Pastoureau, "Traité d'héraldique"
Publisher: A&J Picard | 1997 | ISBN: 2708405209 | French | PDF | 408 pages | 54.9 Mb

Science auxiliaire traditionnelle de l'histoire et de l'archéologie, l'héraldique est une discipline en pleine renaissance. Profitant de l'éclatement des barrières au sein des sciences humaines, ainsi que du développement de l'anthropologie historique et de la sémiologie, elle a, depuis une vingtaine d'années, largement étendu le champ de ses investigations et profondément renouvelé ses méthodes. Le traité de Michel Pastoureau, dont la première édition est parue en 1979, propose un bilan de ces mutations et de ce renouveau des études héraldiques. Il comble dans la bibliographie une lacune importante, puisqu'il n'existait avant cette date aucun traité d'héraldique scientifique rédigé en langue française. Cette nouvelle édition, revue et augmentée, prend en compte les très nombreux travaux publiés en Europe depuis 1979. Une synthèse en est présentée dans une nouvelle quatrième partie, qui propose, en outre, des pistes pour les recherches à venir. Quant à la bibliographie, accrue de plusieurs centaines de titres, elle a entièrement été refondue. A la fois marques de possession et ornements décoratifs, les armoiries dont l'usage n'a jamais été réservé à la noblesse ont, du XIIe au XIXe siècle, pris place sur d'innombrables objets, documents et monuments, à qui elles ont, par-là même, donné une sorte d'état civil. Leur examen est bien souvent le seul moyen dont nous disposions pour situer ces objets et ces monuments dans l'espace et dans le temps, pour en retrouver les commanditaires ou les possesseurs, pour en retracer l'histoire et les vicissitudes. Sans négliger cet aspect traditionnel de l'étude des armoiries, largement exposé dans l'ouvrage et dont on ne dira jamais assez l'utilité, l'auteur s'est également efforcé de mettre en valeur tous les aspects nouveaux de la recherche héraldique : étude des armoiries en tant que documents d'histoire sociale ; étude de la fréquence et de la signification des couleurs et des figures du blason ; étude des phénomènes de vogue et de mode dans les armoiries d'une région, d'une époque, d'une classe sociale ; étude des armoiries attribuées à des personnages imaginaires ; étude du blason en tant que système de signes. Une autre originalité du livre vient de ce qu'il ne se limite pas à la France, mais s'étend à toute l'Europe occidentale. Les phénomènes héraldiques ne se limitent pas aux frontières, et l'héraldique comparée se révèle un domaine particulièrement neuf et instructif. De même, si la priorité a été donnée à l'époque médiévale, la période moderne n'a pas été oubliée, et l'auteur souligne, pour la première fois, tout ce que l'étude des armoiries des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles peut apporter à l'historien de l'art, à l'historien de la société, à l'historien des mentalités et de la sensibilité.
L'héraldique est la science qui a pour objet l'étude des armoiries. C'est une discipline qui, en France, a parfois mauvaise réputation. A cela de multiples raisons, dont la principale réside probablement dans l'incapacité ou le refus qu'ont souvent manifesté les héraldistes pour faire sortir l'étude des armoiries du cadre étroit de l'histoire généalogique et nobiliaire. En outre, parce qu'elle n'a pas toujours été traitée avec la rigueur qui convenait à une science auxiliaire de l'histoire, et parce que les spécialistes se sont longtemps enfermés dans une terminologie et des règles plus ou moins ésotériques, l'héraldique est aujourd'hui encore méprisée par de nombreux chercheurs - historiens ou archéologues - qui ignorent la longue évolution des usages armoriaux et qui s'obstinent à voir dans les armoiries des marques nobiliaires. Or rien n'est plus faux. On ne répétera jamais assez qu'à aucun moment, dans aucune région d'Europe occidentale, l'emploi des armoiries n'a été l'apanage d'une classe sociale. Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, chacun, noble ou roturier, a pu, toujours et partout, adopter des armoiries (à la seule condition de ne pas prendre celles d'autrui) et en faire l'utilisation de son choix.
L'oeuvre de la Révolution est peut-être ici en cause, qui par une aberration que rien ne semblait justifier à une époque où la moitié des armoiries françaises effectivement portées étaient des armoiries roturières, vit dans les armoiries des «marques de noblesse» et des «signes de la féodalité», et en décréta l'abolition le 19 juin 1790. Il est des mythes qui ont la vie dure, et celui qui assimile armoiries et noblesse est de ceux-là. D'une certaine manière, la chasse aux armoiries qui sévit entre 1793 et 1796 exerce encore ses prolongements aujourd'hui. A l'heure actuelle, dans aucun pays d'Europe, il n'existe un enseignement régulier de l'héraldique. L'École des chartes, à Paris, est le seul établissement d'enseignement supérieur qui dispense, sous forme de conférences ayant lieu tous les trois ans, un cours d'initiation à l'étude des armoiries. Nombreux sont dans le monde les conservateurs d'archives, de musées et de bibliothèques qui sont formés aux différentes sciences auxiliaires de l'histoire sauf à celle-là, et qui, par-là même, se trouvent quotidiennement déroutés devant un document ou un monument armorié.
Mais l'abolition des armoiries en 1790 n'explique pas tout. Force est de reconnaître que les héraldistes sont eux-mêmes en grande partie responsables de la méconnaissance dans laquelle on tient leur discipline. A cet égard l'histoire des manuels et traités de blason composés du XVIIIe au XXe siècle se révèle fort instructive. Rares sont parmi ces ouvrages ceux qui s'efforcent de proposer des règles de critique et des principes d'analyse qui mettent l'étude des armoiries au service de la recherche historique et archéologique. Tous, ou presque, s'enferment dans une héraldique théorique, normative, située hors du temps et de l'espace. L'histoire des armoiries y disparaît derrière l'interminable et inutile énoncé des termes, Figures et règles du blason, dont la plupart ne sont qu'un jeu de l'esprit et ne correspondent à aucune réalité armoriale. Ce défaut n'est du reste pas particulier à la France et se retrouve dans les manuels étrangers.


Né en 1947, Michel Pastoureau est archiviste paléographe et directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études (Sorbonne, IVe section), où il est depuis 1983 titulaire de la chaire d'histoire de la symbolique occidentale. Vice-président de la Société française d'héraldique et de sigillographie, membre de l'Académie internationale d'héraldique, il est depuis de nombreuses années une autorité reconnue en ce domaine. Outre l'étude des armoiries, ses recherches actuelles portent, d'une part, sur l'anthropologie historique des couleurs, de l'autre, sur l'histoire de la zoologie et des rapports entre l'homme et l'animal.