Jürgen Habermas, "L’avenir de la nature humaine: Vers un eugénisme libéral ?"
Gallimard | 2015 | ISBN: 2070149420 | French | EPUB | 196 pages | 0.2 MB
Gallimard | 2015 | ISBN: 2070149420 | French | EPUB | 196 pages | 0.2 MB
Face aux progrès des biosciences, au développement des biotechnologies, au déchiffrement du génome, le philosophe ne peut plus se contenter des déplorations sur l'homme dominé par la technique. Les réalités sont là, qui exigent de lui qu'il les pense à bras-le-corps.
Désormais, la réponse que l'éthique occidentale apportait à la vieille question "Quelle vie faut-il mener ?" : "pouvoir être soi-même", est remise en cause. Ce qui était jusqu'ici "donné" comme nature organique par la reproduction sexuée et pouvait être éventuellement "cultivé" par l'individu au cours de son existence est, en effet, l'objet potentiel de programmation et de manipulation intentionnelles de la part d'autres personnes.
Cette possibilité, nouvelle à tous les plans : ontologique, anthropologique, philosophique, politique, qui nous est donnée d'intervenir sur le génome humain, voulons-nous la considérer comme un accroissement de liberté qui requiert d'être réglementé, ou comme une autorisation que l'on s'octroie de procéder à des transformations préférentielles qui n'exigent aucune autolimitation ?
Trancher cette question fondamentale en la seule faveur de la première solution permet alors de débattre des limites dans lesquelles contenir un eugénisme négatif, visant sans ambiguïté à épargner le développement de certaines malformations graves. Et de préserver par là même la compréhension moderne de la liberté.
Interrogation fondamentale sur l'éthique de la responsabilité, L'Avenir de la nature humaine, le dernier essai du philosophe allemand Habermas, considère la question et les enjeux des progrès de la bioéthique et de l'eugénisme à la fois du point de vue scientifique et moral. Habermas, en rupture de ce point de vue avec une large part de la critique, laquelle se montre soit alarmiste, soit très moralisatrice, essaie de reconnaître et de penser le progrès scientifique en matière de biologie moléculaire comme une chance qu'il faut saisir… à condition qu'elle n'entrave pas notre destin d'homme. L'intérêt de la pensée d'Habermas tient toujours dans cette tension, à savoir que le progrès est bon lorsqu'il ne se substitue pas à notre liberté de choix. Quid de la liberté, du sujet autonome dans ses actions et dans ses décisions si son génome humain a été préalablement choisi, calibré, voulu par autrui ? Quid d'une société qui jouerait impunément d'un "eugénisme libéral" sur un modèle réglé par l'offre et la demande ? À partir de ces questions, Habermas repense le concept d'égalité. Le fait eugénique remet en cause l'idée d'égalité juridique puisque c'est notre singularité même qui se trouve menacée. À vouloir changer l'aléatoire de la nature, ce qui fait que fondamentalement nous sommes tous uniques et différents, nous risquons de détruire le concept d'égalité, ciment politique et
moral de la démocratie. –Denis Gombert